Donnons sa chance à la Grèce
Le Monde, 21 May 15
Il faut arrêter la tragédie. Le découragement croissant de l’Europe vis-à-vis du nouveau gouvernement grec pousse désormais certains à plaider pour un «Grexit» – une sortie de la Grèce de la zone euro. Nous pensons que ce serait une erreur: un échec politique collectif et une catastrophe économique et sociale pour le peuple grec.
Cependant, ce serait aussi une erreur collective que de garder la Grèce dans la zone euro sans engagement sérieux et crédible de la part du gouvernement grec pour réformer en profondeur son économie et ses institutions. Cela éroderait la crédibilité des institutions européennes et déstabiliserait leur fondement même, qui est le respect du droit et des engagements réciproques. La souveraineté de chaque Etat membre doit, certes, être respectée, mais dans une Europe intégrée, il faut accepter que la souveraineté soit de plus en plus partagée.
Le gouvernement grec a reçu pour mandat de redémarrer l’économie sur de nouvelles bases. Il a l’avantage de ne rien devoir à l’ancienne élite qui a ruiné le pays. Mais ses promesses électorales étaient contradictoires et irréalistes. Le référendum envisagé serait une opportunité pour le gouvernement de récupérer un mandat clair de transformation économique et institutionnelle, seule compatible avec un maintien de la Grèce dans la zone euro.
Cependant, un référendum n’exonérera pas l’Europe de ses responsabilités. Il faut reconnaître qu’à travers les deux programmes de soutien consécutifs les Européens et le FMI ont aidé la Grèce à rembourser des créanciers privés – dont beaucoup d’Allemands et de Français – aux frais du contribuable européen. L’optimisme affiché à l’époque sur la capacité de la Grèce à se réformer et à rétablir ses finances publiques fut une erreur. Cependant, nous devons aujourd’hui honorer notre responsabilité historique d’union pour la paix. Nous devons aussi accepter qu’un pays européen en crise profonde mérite notre solidarité et notre soutien.
Echouer à résoudre la crise grecque serait coûteux pour les Européens. Certes, le risque de contagion à d’autres pays a été réduit par la mise en place de divers parefeu financiers. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer le risque d’un changement de paradigme sur les marchés, l’appartenance à la zone euro n’étant désormais plus considérée comme un engagement irrévocable.
Rétablir la confianceL’exposition combinée de la France et de l’Allemagne au risque grec est de l’ordre de 160milliards d’euros, soit 4350euros pour une famille de quatre personnes – un montant qui serait largement perdu en cas de «Grexit» et doit être mis en regard du coût et des risques liés à un troisième plan d’aide à la Grèce. Surtout, la zone euro aurait à supporter le coût géopolitique lié à une instabilité accrue à ses frontières, sans parler de son affaiblissement sur la scène internationale.
Résoudre la crise grecque est un test de la capacité et de la volonté de l’Europe à coopérer : un test pour les nouvelles institutions, et un révélateur du chemin qui reste à parcourir pour consolider la zone euro. Les leçons de la crise devront tôt ou tard trouver une traduction dans les traités.
Dans l’immédiat, il nous faut un engagement crédible de la Grèce pour réformer, en échange d’une solidarité de la part des Européens sous la forme de dons ciblés sur les urgences sociales, et éventuellement d’un troisième programme de soutien. Les réformes devraient porter en priorité sur l’administration fiscale, un programme de privatisation beaucoup plus ambitieux, une réforme des retraites pour rétablir la soutenabilité du système à long terme, un excédent budgétaire raisonnable hors intérêts de la dette et une concurrence accrue sur les marchés de biens et services.
Pour ramener les investisseurs en Grèce et reconstruire l’économie, il est urgent de rétablir la confiance. Cela suppose que le gouvernement grec envoie un signal clair sur sa volonté de coopérer avec ses créanciers et d’accélérer les réformes. Mais aussi que les partenaires européens s’engagent à soutenir ses efforts à travers son aide financière et technique, et à faire tout leur possible pour garder la Grèce dans la zone euro. Enfin, les Européens devraient encourager la mise en place de zones économiques pilotes où les entreprises seraient soumises à moins de bureaucratie et à des règles plus claires: une manière de concentrer les efforts à court terme et d’expérimenter de nouvelles institutions avant de les généraliser.
Résoudre la crise grecque est un test particulièrement rude pour l’intégration européenne. L’idée d’un référendum en Grèce sur les réformes et l’appartenance à la zone euro doit être considérée comme une solution de dernier recours, si c’est la seule manière pour le pays de se choisir rapidement un destin. L’Europe doit à la Grèce sa solidarité et une perspective de développement au sein de la zone euro. Mais elle doit aussi se préparer à toute éventualité, même celle d’un «Grexit» qui, de notre point de vue, serait un échec coûteux pour la Grèce et pour l’Europe.
Les signataires de cette tribune, publiée dans plusieurs journaux européens, dont «Kathimerini» (Athènes) et «Süddeutsche Zeitung» (Munich), sont membres du groupe Eiffel Europe ou du groupe Glienicker: Agnès Bénassy-Quéré (Ecole d’économie de Paris, université Paris-I), Yves Bertoncini (Institut Jacques Delors), Jean-Louis Bianco (Observatoire de la laïcité), Armin von Bogdandy (Max-Planck Institut), Christian Calliess (Freie Universität Berlin), Henrik Enderlein (Hertie School of Governance Berlin), Marcel Fratzscher (DIW et Université Humboldt Berlin), Clemens Fuest (ZEW, Université de Mannheim), Sylvie Goulard (Parlement européen), Andre Loesekrug-Pietri (A Capital), Franz Mayer (Université Bielfield), Rostane Mehdi (Aix Marseille Université), Denis Simonneau (GDF Suez), Maximilian Steinbeis (Verfassungsblog), Daniela Schwarzer (German Marshall Fund Berlin), et Constanze Stelzenmüller (Brookings), Carole Ulmer (Confrontations Europe), Jakob von Weizsäcker (Parlement européen), Guntram Wolff (Bruegel).